La tentation de l’effacement : l’Union européenne face à sa propre impuissance stratégique

Publié le 1 décembre 2025 à 05:33

Alors que le conflit en Ukraine entre dans une phase critique, l’Union européenne semble paralysée. L’analyse d’un expert de la sécurité européenne révèle une "psychologie de la faiblesse" au cœur du projet européen. Explications.

Par @lemanifestmedia

Malheureusement, la psychologie de la faiblesse de l’Europe est tout aussi visible dans le domaine économique, puisque l’accord commercial conclu entre l’UE et les États-Unis en juillet dernier illustre parfaitement la façon dont la fragilité peut se déguiser en “pragmatisme”. Photo: Thierry Monasse / Getty Images

 

Depuis des mois, les tractations diplomatiques autour de l’avenir de l’Ukraine s’intensifient. Washington négocie. Moscou menace. Pékin observe. Et l’Union européenne ? Elle commente. À l’heure où se joue l’équilibre géopolitique mondial, le vieux continent semble plus spectateur qu’acteur. Une posture que Steven Everts, directeur de l’EU Institute for Security Studies (EUISS), qualifie sans détour de « psychologie de la faiblesse » dans un texte de réflexion interne relayé par plusieurs sources proches de l’institut.

L’Europe, géant économique mais nain stratégique

Le paradoxe européen est connu, mais il n’a jamais été aussi visible. La richesse du bloc, son influence réglementaire, sa population hautement qualifiée… tous les indicateurs plaident pour une place centrale sur la scène internationale. Pourtant, l’UE peine à peser dans les décisions clés, même lorsqu’il s’agit de sa propre sécurité.

Le cas ukrainien en est l’illustration brutale. Officiellement, les dirigeants européens répètent à l’envi que l’Ukraine est un enjeu existentiel pour la sécurité du continent. Officieusement, les livraisons d’armes s’amenuisent. Et surtout, les désaccords internes paralysent les mécanismes d’aide financière. L’Ukraine a besoin d’environ 70 milliards d’euros par an pour ne pas sombrer. Soit 0,35 % du PIB européen. Une somme dérisoire à l’échelle de l’Union, mais que les États membres peinent à mobiliser.

L’analyse d’Everts est sans appel. L’Europe agit selon un schéma répétitif, réagir, espérer, répéter. Une stratégie passive, qui se résume souvent à commenter les propositions américaines ou à ajuster des documents déjà négociés ailleurs. Un phénomène que l’expert surnomme avec ironie « la diplomatie en mode track-changes », en référence à la fonction de correction de Word. Pendant ce temps, les décisions structurantes sont prises à Washington, à Ankara ou à Riyad.

Plus inquiétant encore, ce manque d’audace s’étend bien au-delà du conflit ukrainien. Face à la guerre hybride de la Russie, à la militarisation économique de la Chine, ou encore aux pressions commerciales américaines, l’UE hésite, recule, compose. Et perd en crédibilité.

Le grand renoncement transatlantique

L’accord commercial signé cet été entre Bruxelles et Washington illustre parfaitement cette dynamique. En théorie, il devait stabiliser les relations économiques entre les deux blocs. En pratique, il entérine un déséquilibre profond. L’Europe a accepté unilatéralement une taxe de 15 % sur certains produits exportés, tout en s’engageant à massivement investir aux États-Unis — au mépris des règles de l’OMC et de ses propres intérêts industriels. Et pour quel résultat ? Quelques mois plus tard, Washington dénonçait les mesures climatiques européennes comme des « barrières commerciales ».

Pour Everts, ce n’est plus une question de volonté politique ponctuelle, mais un schéma mental ancré, l’Europe se perçoit comme impuissante, convaincue que sa survie dépend du bon vouloir d’alliés plus musclés. Elle abdique ses leviers d’action par peur de l’isolement, au nom d’un réalisme qui ressemble de plus en plus à de la résignation.

Mais tout n’est pas perdu. Le directeur de l’EUISS insiste, l’Europe a les moyens de sa souveraineté. Elle dispose de capacités économiques, technologiques, militaires (via ses États membres) et institutionnelles. Ce qui lui manque, c’est le courage collectif de les activer. Cela implique de déléguer davantage de pouvoir à des institutions communes, de créer un budget fédéral pour les crises, de définir une vraie doctrine de sécurité, et d’apprendre à dire « non » — y compris à ses alliés.

C’est là que se joue le futur de l’Union, accepter de renoncer à certaines prérogatives nationales pour regagner de l’impact global. Ce ne sera ni simple, ni immédiat. Mais refuser ce saut politique reviendrait à accepter l’effacement, dans un monde où les équilibres changent à toute vitesse.

Dans un contexte marqué par le retour des empires — Russie, Chine, États-Unis version Trump —, l’Union européenne doit faire un choix. Rester un terrain de jeu pour les autres, ou devenir à nouveau une puissance capable d’écrire ses propres règles.

Il ne s’agit pas seulement de muscles ou d’argent. Il s’agit de psychologie collective, de confiance en soi, de la capacité à assumer ses responsabilités. Comme le conclut Steven Everts, « ce que l’Europe doit retrouver aujourd’hui, c’est la force de croire en elle-même. »

 

ÉCRIT : PAR LA RÉDACTION 

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