La libération de l’écrivain Boualem Sansal, obtenue après une demande du président allemand, relance les critiques contre Emmanuel Macron. Le rôle central de l’Allemagne interroge sur l’influence diplomatique de la France face à Alger.
Par @sahbymehalla
Photo: Joel Saget / AFP
La décision d’Alger de gracier l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à la demande du président allemand Frank-Walter Steinmeier continue de provoquer une onde de choc politique en France. Plusieurs députés du Rassemblement national dénoncent une « résignation diplomatique » d’Emmanuel Macron, tandis que Berlin s’affirme comme interlocuteur crédible auprès d’Alger.
Une libération obtenue via Berlin, pas Paris : un signal diplomatique fort
L’annonce est tombée le 12 novembre, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accordé une grâce présidentielle à Boualem Sansal, emprisonné depuis novembre 2024 et condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale ». Gette mesure est directement intervenue « après une demande officielle du président allemand ».
Dans le même temps, Berlin a indiqué prendre en charge le transfert de Sansal vers l’Allemagne pour y recevoir des soins médicaux, en raison d’une dégradation alarmante de son état de santé.
De son côté, Paris a salué l’issue favorable, mais sans annoncer de rôle direct dans la négociation.
Une médiation allemande qui interroge : Paris marginalisé ?
Pour plusieurs observateurs, le rôle central de Berlin confirme un basculement symbolique dans la relation triangulaire France-Allemagne-Algérie.
L’Allemagne s’est érigée en médiatrice pour « permettre aux deux capitales, Paris et Alger, de sauver la face », soulignant une influence française plus discrète que par le passé.
Cette intervention allemande, saluée pour son efficacité, a néanmoins relancé le débat sur la capacité d’Emmanuel Macron à maintenir un levier diplomatique sur Alger, dans un contexte où les relations franco-algériennes restent fragiles, tensions mémorielles, désaccords migratoires, et recentrage géopolitique d’Alger vers de nouveaux partenaires.
Le RN attaque : « L’Allemagne obtient ce que la France n’a pas su obtenir ».
La réaction de la classe politique française ne s’est pas fait attendre. Plusieurs élus du Rassemblement national dénoncent une « défaite diplomatique » pour Emmanuel Macron, estimant que la France aurait dû être en première ligne pour défendre l’écrivain franco-algérien.
Selon eux, le fait que l’intervention décisive soit venue de Berlin plutôt que de Paris traduit « l’effacement de la diplomatie française dans une région où elle tenait historiquement un rôle majeur ».
Cette lecture politique, largement relayée sur les réseaux sociaux, alimente l’idée d’une perte d’influence de la France au Maghreb, tandis que l’Allemagne renforce progressivement sa présence diplomatique et économique dans la zone.
Paris avait pourtant dénoncé la détention “arbitraire” de Sansal
Le reproche d’inaction est pourtant nuancé par un autre rappel, Emmanuel Macron avait publiquement qualifié la détention de Sansal « d'arbitraire » dès février 2025.
Plusieurs sources diplomatiques françaises affirment avoir mené des négociations discrètes depuis des mois, sans obtenir de concessions. La médiation allemande aurait alors permis à Alger de sortir du dossier sans donner l’impression de céder directement à Paris — une préoccupation récurrente dans les relations entre les deux pays.
Au-delà du cas Sansal, cette séquence révèle une recomposition plus large des équilibres diplomatiques autour de l’Algérie.
Berlin apparaît comme un « acteur neutre », capable d’intervenir là où la charge historique des relations franco-algériennes complique la discussion directe. Cette neutralité offre à Alger un espace de négociation plus confortable, loin des enjeux mémoriels et politiques qui saturent son rapport à Paris.
Cette dynamique n’échappe pas aux chancelleries européennes, qui voient dans le déplacement d’influence un signe des réalités géopolitiques du moment.
Entre perceptions politiques et réalités diplomatiques, une équation complexe
Dire que la France est « impuissante » serait excessif :
- elle a dénoncé la détention,
- maintenu une pression diplomatique,
- et soutenu les initiatives européennes menant à la libération.
Mais dire que l’épisode n’entache pas son image serait tout aussi inexact. L’intervention décisive venue de Berlin, et non de Paris, remet en question la capacité française à défendre ses ressortissants quand la relation avec Alger est à son point le plus bas depuis 2021.
Dans cette affaire, l’Allemagne ressort comme médiatrice efficace, la France comme acteur secondaire, et l’Algérie comme arbitre souverain d’un jeu diplomatique où chaque geste a une portée symbolique.
La grâce de Boualem Sansal ne marque pas la fin de l’influence française en Algérie, mais elle en souligne l’affaissement momentané. C’est aussi le signe que l’Union européenne, lorsqu’elle agit de manière concertée (ou du moins complémentaire), peut obtenir des résultats là où les relations bilatérales sont trop chargées pour porter leurs fruits.
Une leçon de diplomatie contemporaine, parfois, la solution vient de l’extérieur… même quand le problème concerne deux vieux partenaires.
ÉCRIT PAR : SAHBY MEHALLA
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