La rapamycine, découverte dans un sol de Rapa Nui et devenue un médicament phare, rapporte des milliards. Mais les peuples autochtones n’ont jamais été associés ni dédommagés.
Par @radiosiskofm
David Rius et Núria Tuca // Getty Images
Un simple prélèvement de terre sur l’Île de Pâques dans les années 1960 a conduit à l’une des découvertes pharmaceutiques les plus lucratives du siècle. Dans ce sol volcanique isolé, une équipe de chercheurs a mis au jour une bactérie rare, Streptomyces hygroscopicus, qui allait donner naissance à la rapamycine, un médicament aujourd’hui indispensable en médecine moderne. Utilisé comme immunosuppresseur pour les greffes, et exploré pour ses effets sur le cancer, les maladies métaboliques et même le vieillissement, ce traitement est parfois qualifié de “médicament à un milliard de dollars” tant son impact économique et médical est immense.
Mais derrière cette success story scientifique, une controverse prend de l’ampleur, quand l’industrie récolte les bénéfices, qui reconnaît les peuples autochtones dont la terre a été exploitée ?
En 1964, l’expédition METEI (Medical Expedition to Easter Island), menée par des scientifiques canadiens, avait pour but officiel d’étudier la population locale et ses maladies. C’est dans ce cadre qu’un échantillon de sol fut prélevé et expédié dans des laboratoires à l’étranger. Quelques années plus tard, ce même échantillon donna naissance à la rapamycine, sans que les Rapa Nui, habitants autochtones de l’île, ne soient informés, consultés ni crédités.
Selon des chercheurs, la narration dominante de cette découverte a volontairement “oublié” de mentionner la contribution des équipes de terrain et a totalement invisibilisé la communauté locale. « C’est un cas typique d’effacement historique », estime une étude publiée dans le Journal of the History of Biology.
Aujourd’hui, de plus en plus de voix dénoncent ce qu’elles appellent une forme de biopiraterie, l’appropriation de ressources biologiques et de savoirs autochtones sans consentement ni compensation. L’affaire de la rapamycine illustre parfaitement cette problématique, une molécule extraite d’un sol autochtone, transformée en médicament mondialement vendu, mais aucun partage de bénéfices avec le peuple Rapa Nui.
Pour certains juristes, il ne s’agit pas seulement d’une question morale mais aussi d’un enjeu de justice globale. La Convention de l’ONU sur la biodiversité reconnaît depuis 1992 l’importance du consentement préalable et du partage équitable des avantages liés à l’utilisation des ressources génétiques. Mais dans les faits, la rapamycine avait déjà été brevetée et commercialisée bien avant que ces normes internationales ne soient adoptées.
Un précédent qui résonne aujourd’hui
Au-delà du cas de l’Île de Pâques, l’histoire de la rapamycine relance un débat mondial sur les pratiques scientifiques. Doit-on repenser les relations entre chercheurs, industries pharmaceutiques et peuples autochtones ? Comment garantir que les découvertes issues de ressources biologiques locales ne profitent pas seulement aux géants du médicament, mais aussi aux communautés dont elles proviennent ?
Alors que la rapamycine continue de générer des profits colossaux et d’alimenter des recherches prometteuses — y compris sur le ralentissement du vieillissement —, les Rapa Nui, eux, n’ont jamais vu la couleur de ce “milliard de dollars”. Une réalité qui pose une question simple mais dérangeante, peut-on parler de progrès scientifique quand ceux qui en sont à l’origine restent dans l’ombre ?
ÉCRIT PAR : RADIO SISKO FM
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