« Pied-noir » : aux origines d’un mot qui a marqué l’histoire coloniale

Publié le 19 septembre 2025 à 18:14

D’abord employé en 1901 pour désigner les marins aux pieds noircis par le charbon, le terme pied-noir s’est transformé au XXe siècle en symbole identitaire des Européens d’Algérie. Entre mémoire coloniale, pauvreté des colons arrivés « pieds nus » et héritage douloureux de l’exil de 1962, ce mot incarne encore aujourd’hui toute la complexité de l’histoire franco-algérienne.

Par @sahbymehalla

« Pied-noir » : aux origines d’un mot qui a marqué l’histoire coloniale

Le terme pied-noir, aujourd’hui chargé d’une mémoire douloureuse, a une histoire bien plus complexe qu’il n’y paraît. Son sens n’a pas toujours désigné les Européens installés en Algérie, et son évolution reflète les ambiguïtés du rapport colonial entre la France et l’Algérie.

Le Trésor de la langue française informatisé (TLFI), l’un des grands corpus de référence, indique que le mot pied-noir est attesté dès 1901. Mais il ne désignait pas encore les Français d’Algérie. À l’époque, il s’agissait d’un terme appliqué aux chauffeurs de bateaux à vapeur, qui marchaient pieds nus dans la chaufferie et ressortaient les pieds noircis par le charbon. Rien, donc, de lié directement à la colonisation.

C’est au fil du XXe siècle que le mot glisse vers un autre usage. Dans l’Algérie coloniale, il commence à être employé pour désigner, souvent de manière péjorative, les Européens installés en Algérie, vus comme des colons arrivés « les pieds nus », sans ressources, prêts à recommencer une vie grâce aux terres concédées par l’État français. Dans ce contexte, pied-noir évoque l’image du pauvre immigré européen, sale, sans biens, qui venait s’ancrer dans le projet colonial français en Afrique du Nord.

Le mot pied-noir prend une tournure définitive dans les années 1950-1960, au moment de la guerre d’indépendance. Il devient alors l’appellation générique des Européens d’Algérie rapatriés en métropole après 1962. Ce glissement sémantique témoigne d’une évolution sociale, d’un terme technique lié au charbon, on est passé à un symbole identitaire, qui porte encore aujourd’hui un héritage de fractures, de nostalgie et de douleur entre les deux rives de la Méditerranée.

Les historiens s’accordent à dire qu’il n’existe pas une seule origine officielle du mot, mais un faisceau d’usages. Certains privilégient l’explication « charbon et pieds salis », d’autres la lecture « colons pauvres, arrivés pieds nus », d’autres encore évoquent le port des bottes militaires noires. Ce qui est sûr, c’est que le mot a changé de sens avec les tensions du XXe siècle, jusqu’à devenir indissociable de la mémoire coloniale franco-algérienne.

A Retenir :

1901 : première attestation dans le TLFI, pour désigner les chauffeurs de bateaux aux pieds noircis par le charbon.

1910-1940 : glissement progressif du terme en Algérie, avec des usages péjoratifs visant les Européens installés.

1954-1962 : généralisation du mot pendant la guerre d’indépendance, devenu l’appellation des Français d’Algérie.

Aujourd’hui : pied-noir reste une marque identitaire et mémorielle, indissociable de l’histoire franco-algérienne.

 

ÉCRIT PAR : SAHBY MEHALLA

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