Une analyse claire et documentée de l’inscription du « Caftan marocain » par l’UNESCO en 2025, replacée dans l’histoire régionale du vêtement et dans les héritages partagés du Maghreb. Cet article clarifie ce que l’UNESCO reconnaît — et ce qu’elle ne dit pas — face à la montée des interprétations identitaires et à la politisation du patrimoine immatériel.
Par @sahbymehalla
Image représentant des modèles de caftans orientaux levantins palestiniens.
Lors de la 20ᵉ session du Comité intergouvernemental pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel à New Delhi, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a inscrit un nouvel élément sur sa Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité « Caftan marocain : art, traditions et savoir-faire ».
Bien au-delà d’un simple vêtement, le caftan représente un savoir-faire textile, des pratiques artisanales, des codes sociaux et un héritage esthétique profondément ancré dans l’histoire nord-africaine et même le moyen orient. Cette inscription a suscité un large écho médiatique international et, chez certains observateurs et acteurs politiques, des interprétations divergentes quant à son “appartenance culturelle”.
Selon la fiche officielle publiée par l’UNESCO elle-même, l’élément inscrit en décembre 2025 porte explicitement la mention suivante : « Le Caftan marocain : art, traditions et savoir-faire » — Inscrit en 2025 (20.COM) sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. » (“The Moroccan Caftan: art, traditions and skills”— Inscribed in 2025 (20.COM) on the Representative List of the Intangible Cultural Heritage of Humanity.)
Cette désignation constitue l’organisation onusienne pour cet élément. Elle est reprise textuellement dans la base de données de l’UNESCO.
Des médias internationaux anglophones indépendants, tels que Africanews, confirment cette inscription en accord avec les décisions du Comité.
Que dit réellement l’UNESCO ?
Ce qui est indiscutable, d’un point de vue factuel, l’inscription 2025 concerne un caftan présenté officiellement au nom du caftan Marocain. L’élément n’est pas inscrit sous un nom ou une attribution “caftan algérien”.
Les documents accessibles sur le site UNESCO en anglais (base ICH) ne contiennent aucune formulation officielle déclarant que le caftan est “algérien” au sens d’une inscription autonome.
Alors pourquoi un débat entre l’Algérie et le Maroc ?
L’origine du débat tient à une lecture différente des archives, traditions et éléments historiques. Depuis 2012, l’UNESCO a inscrit un autre élément immatériel au sein de l’inventaire : “Rites et savoir-faire associés à la tradition du costume nuptial de Tlemcen”, enregistré sous le numéro RL/00668.
Dans cet ensemble plus large de pratiques et savoir-faire autour du costume nuptial de Tlemcen (Algérie), l’usage du caftan est mentionné comme composante d’un ensemble textile et social traditionnel.
Cette inscription de 2012 concerne donc un ensemble culturel dans lequel le caftan apparaît, mais elle n’équivaut pas à une inscription autonome du caftan en tant qu’élément immatériel séparé.
En décembre 2025, lors de la même session de New Delhi, des documents techniques (projets de décision, formulaires ICH-02) reflètent des demandes de mise à jour liées à la description de la pratique du costume pour l’élément de 2012.
Il s’agit de formulations internes qui peuvent mentionner des pratiques comme “le port du caftan”, mais ces documents ne changent pas l’intitulé officiel du nouvel élément inscrit en 2025, ni n’en font un élément culturel autonome pour un autre pays.
Nuancer sans nier la richesse des traditions
Il est important de souligner que les traditions liées au caftan existent historiquement dans plusieurs régions du Maghreb, notamment dans les traditions vestimentaires du Maroc et de certaines régions d’Algérie (Tlemcen, Constantine, etc.).
Les musées internationaux (Metropolitan Museum of Art à New York, Victoria & Albert Museum à Londres - mots clés : caftans ou kaftans) conservent des caftans anciens provenant de différentes zones du Maghreb, attestant de la diffusion régionale de ce vêtement centenaire.
Ces pièces constituent des sources matérielles d’archives culturelles, mais elles ne constituent pas une inscription UNESCO autonome.
Faits vérifiables vs interprétations
Sur la base des sources primaires internationales disponibles, l’UNESCO a inscrit, en décembre 2025, un élément intitulé “Caftan Marocain” dans sa Liste représentative.
Il n’existe pas de fiche UNESCO en anglais qui affirme que l’organisation a officiellement reconnu un “caftan algérien” comme élément séparé.
L’élément relatif à Tlemcen (Algérie) de 2012 mentionne un costume traditionnel dans lequel le caftan est l’un des composants du savoir-faire, mais ce n’est pas une inscription autonome de “caftan algérien”.
Dans l’espace médiatique culturel et patrimonial, il est donc essentiel de distinguer la reconnaissance formelle de l’UNESCO (inscription sur une liste internationale) de la richesse des héritages culturels locaux, qui peuvent coexister et se chevaucher dans des traditions connues depuis des siècles.
L’usage du terme “marocain” ne signifie pas que le caftan appartient exclusivement au Maroc
Dans le langage normatif de l’UNESCO, l’emploi d’un qualificatif national — ici “Moroccan Caftan” — ne signifie jamais que l’organisation statue sur la “propriété” historique d’un élément culturel, ni qu’elle tranche un débat identitaire.
Ce terme correspond strictement à l’intitulé fourni par l’État qui soumet le dossier. L’UNESCO ne mène ni enquête historique, ni arbitrage diplomatique, elle enregistre un patrimoine tel que déclaré.
Autrement dit, que l’élément soit inscrit sous un nom marocain n’efface ni les traditions du caftan en Algérie, Tunisie, ni les circulations textiles historiques au Maghreb, ni les échanges culturels séculaires entre les deux sociétés.
Réduire cette inscription à une compétition nationale serait donc une erreur d’interprétation méthodologique et un contresens sur le rôle du système du patrimoine immatériel.
La politisation de la culture fragilise une mémoire commune
Ce qui se joue ici dépasse le caftan, c’est la façon dont des biens culturels séculaires deviennent les otages d’un discours politique inflammable.
La culture maghrébine, qu’on le veuille ou non, repose sur un tronc commun historique, des familles entremêlées, des langues partagées, des routes commerciales anciennes, des codes sociaux jumeaux, et une matrice spirituelle commune.
Chercher à découper cette culture à la frontière contemporaine revient à enlever un membre à un seul et même corps.
La région a été façonnée par des dynasties, des migrations, des alliances et des transmissions qui n’ont jamais respecté les frontières modernes. Le caftan, comme tant d’autres marqueurs vestimentaires, a circulé, s’est hybridé, s’est transformé simultanément dans plusieurs villes, de Fès à Tlemcen, d’Alger à Marrakech.
Le présenter comme une exclusivité nationale, quelle qu’elle soit, relève davantage de la construction géopolitique que de la mémoire culturelle.
Quand certains médias attisent le feu au lieu d’éclairer
Ce qui inquiète aujourd’hui, c’est la manière dont certains médias algériens et leurs homologues marocains alimentent un climat de surenchère identitaire en transformant un vêtement historique en symbole de confrontation.
Au lieu d’expliquer les faits, contextualiser, éclairer et apaiser, certains titres choisissent la voie inverse, accroître la tension culturelle.
Dans un écosystème médiatique fragile, cette logique ne construit rien ; elle alimente un cycle de ressentiment qui n’a aucun lien avec la réalité historique du vêtement ni avec la nature de la décision de l’UNESCO.
Un travail journalistique exigeant aurait dû rappeler que le caftan n’a jamais appartenu à une seule nation, la circulation textile nord-africaine est un continuum, l’UNESCO ne déclare pas la “paternité” d’un costume, l’enjeu est culturel, pas identitaire.
En omettant ces fondamentaux, ces médias ne jettent pas la lumière, mais jettent de l’huile sur le feu, au risque de créer des fractures artificielles dans un patrimoine qui, lui, n’a jamais été fracturé.
Un appel à la responsabilité : protéger le patrimoine, pas le diviser
Le caftan devrait être un terrain de convergence, un symbole partagé, un héritage vivant du Maghreb profond.
Le transformer en ligne de front n’a aucun sens culturel, historique ou social.
Ce que dit l’UNESCO, ce que disent les archives, ce que dit la réalité du terrain, c’est simple, le caftan est un héritage régional pluriel, façonné par des siècles d’influences mutuelles.
Le rôle du journalisme aujourd’hui est de rappeler cette vérité, de lutter contre la simplification nationaliste et de défendre une vision du patrimoine comme un bien commun, non comme un drapeau à planter.
ÉCRIT PAR : SAHBY MEHALLA
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Commentaires
L'auteur, algérien, de cet article, essaie de minimaliser l'inscription de ce patrimoine par le pays voisin, et ne mentionne nullemement les multitudes actions algériennes pour compromettre cette inscription.
Les chiens aboient et la caravane passe.
Nous vous remercions pour votre commentaire. Le Manifest tient à rappeler que notre ligne éditoriale repose exclusivement sur l’analyse factuelle, l’examen des sources primaires internationales et la contextualisation culturelle, sans considération pour des appartenances nationales ou des sensibilités politiques.
L’article ne vise ni à minimiser l’inscription portée par le Royaume du Maroc, ni à occulter les démarches entreprises par l’Algérie auprès des instances de l’UNESCO. Il cherche au contraire à expliciter la différence entre une inscription formelle, des pratiques culturelles régionales et les interprétations politiques qui en découlent.
Notre approche demeure la même pour tous les sujets sensibles :
– restituer ce que disent objectivement les documents officiels ;
– distinguer faits, déclarations et perceptions ;
– rappeler que le patrimoine culturel immatériel n’est pas un instrument de rivalité nationale, mais un espace de transmission et de compréhension partagé.
Nous continuerons à traiter ces questions avec rigueur, indépendance et sens de la nuance — principes essentiels à toute rédaction responsable.