Où reposent aujourd’hui les restes de l’Algérien Saint Augustin d’Hippone ?

Publié le 8 décembre 2025 à 12:16

Sur les traces du corps de Saint Augustin, entre Annaba et Pavie, une enquête qui traverse quinze siècles d’histoire

Par @lemanifestmedia

Où reposent aujourd’hui les restes de l’Algérien Saint Augustin d’Hippone ?

Saint Augustin d’Hippone, représenté par Philippe de Champaigne (vers 1645–1650), tenant son cœur embrasé en symbole de sa quête de vérité et de son amour divin. Œuvre conservée au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Domaine public.

 

Dans la lumière voilée du matin, la Basilique Saint-Augustin d’Annaba domine toujours la colline comme un rappel obstiné, l’évêque d’Hippone n’a jamais vraiment quitté l’Algérie. Pourtant, l’essentiel de ce qui reste physiquement de lui repose aujourd’hui… à plus de 1 200 kilomètres, dans une crypte de Lombardie. Une dispersion qui alimente depuis des décennies un débat historique et spirituel que nous avons décidé d’explorer sur le terrain, en croisant archives, témoignages ecclésiaux et sources académiques.

Dans la basilique blanche posée face à la Méditerranée, les fidèles s’arrêtent devant une statue en marbre. À l’intérieur, protégée par un petit reliquaire doré, un fragment authentifié du cubitus droit de Saint Augustin. Il s’agit d’une relique envoyée en 1842 par le pape Grégoire XVI, Selon la documentation officielle de la basilique San Pietro in Ciel d’Oro de Pavie — notamment le guide historique publié dans le cadre de l’exposition consacrée à la translation des reliques — les restes de Saint Augustin ont été transférés et conservés à Pavie à partir du VIIIᵉ siècle.

À Annaba, les religieux s’appuient sur cette source papale pour réaffirmer que « l’Algérie conserve une part matérielle de son plus grand penseur ». Le Père Mokhtar B., de l’Église d’Algérie, rappelle que ce fragment est considéré comme un « retour symbolique » du saint sur sa terre natale. L’Archidiocèse d’Alger maintient d’ailleurs un dossier détaillant la chaîne d’authentification.

Quand les Vandales forcent le départ du corps

Pour comprendre pourquoi Augustin a, malgré lui, quitté l’Afrique du Nord, il faut remonter au Ve siècle. Son proche ami et biographe, Possidius, décrit dans la Vita Augustini l’enterrement du saint en 430 dans la basilique de la Paix d’Hippone.

Mais les Vandales, menés par Genséric, ravagent bientôt la région. Les chrétiens d’Hippone prennent alors une décision radicale, transférer les reliques vers la Sardaigne pour éviter leur profanation. Ce déplacement est confirmé par des sources du haut Moyen Âge, notamment le Martyrologium attribué à Bède le Vénérable.

Pavie, la crypte qui conserve « l’essentiel »

Le véritable tournant survient au début du VIIIe siècle. Les Lombards, inquiets pour la sécurité des reliques en Sardaigne, auraient négocié leur rachat. C’est le roi Liutprand qui ordonne le transfert vers Pavie, comme l’atteste le récit de Paul Diacre dans l’Historia Langobardorum.

Sous la basilique San Pietro in Ciel d’Oro, le visiteur plonge dans une crypte austère où se joue l’un des épisodes les plus décisifs de l’archéologie augustinienne. Selon le guide officiel de la basilique publié en 2024, des travaux menés en 1695 mirent au jour un sarcophage de marbre renfermant une châsse d’argent et des fragments osseux, dont plusieurs portions du crâne attribué à Augustin. Cette découverte déclenche aussitôt une vaste enquête canonique et médicale, comme le rapporte le site spécialisé Augustinus.it, qui détaille les expertises réalisées entre 1695 et 1698.

D’après l’enquête historique publiée par La Provincia Pavese, ces investigations furent conduites sous supervision ecclésiastique et aboutirent à un premier jugement favorable rendu par les autorités diocésaines de Pavie. L’authenticité des restes est finalement confirmée en 1728, comme l’indique le dossier documenté par GravinaLife, lorsque le pape Benoît XIII valide officiellement les conclusions de la commission et reconnaît que les reliques découvertes sont bien celles de l’évêque d’Hippone. Depuis cette date, l’Église considère Pavie comme le lieu principal où reposent les reliques de saint Augustin..

Entre foi et histoire : ce que l’on sait, et ce que l’on ne peut pas dire

Les archives que nous avons consultées le confirment, le lieu d’inhumation original est bien Annaba (Hippo Regius), mais le corps a été déplacé, et la plus grande partie des reliques reconnues se trouve aujourd’hui en Italie.

Cependant, aucun laboratoire n’a mené d’analyse scientifique moderne — ni ADN, ni datation — sur les reliques de Pavie ou celles d’Annaba. Les autorités religieuses s’appuient donc sur la tradition, les archives et les décrets pontificaux, pas sur des preuves biomédicales.

Un héritage éclaté… mais partagé

Dans les faits, la géographie d’Augustin est désormais double.

Annaba conserve un fragment certifié qui fait sens symboliquement, celui d’un évêque africain qui a bâti sa pensée sur les terres de la Numidie.

Pavie abrite la majorité des reliques reconnues par l’Église depuis plus de douze siècles.

Entre les deux rives de la Méditerranée, c’est une histoire de transmission, de fuite, de vénération et de restauration. Une histoire humaine, fragile, parfois contestée, mais profondément enracinée dans ce que saint Augustin lui-même appelait « la cité des hommes ».

Si l’on accepte l’idée que les reliques ne sont jamais que des traces, alors peut-être que le saint d’Hippone repose surtout là où l’on continue de le lire — de l’Algérie à l’Italie, et bien au-delà.

 

ÉCRIT PAR : LA RÉDACTION 

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