L'écrivain Christ Kibeloh livre un manifeste lucide et humaniste sur la responsabilité et la solidarité, en explorant les failles morales de notre époque, le paradoxe des ressources africaines et l'urgence de la réconciliation.
Par @LeonardSorel
Dans un paysage littéraire africain de plus en plus riche et complexe, la voix de Christ Kibeloh se distingue par sa clarté, sa sobriété et sa profondeur. Avec son dernier ouvrage, « Mon regard sur le monde », l'écrivain franco-congolais ne livre pas un simple essai ou un recueil de nouvelles, mais un véritable manifeste lucide et humaniste sur la responsabilité individuelle et collective. Publié par Le Temps d'un roman dans la collection « Essai », ce livre est une œuvre charnière qui défie le lecteur à briser le confort moral de l'Occident et le cynisme des élites.
Le Manifeste contre l'indifférence
L'ouvrage est construit comme une œuvre hybride, au carrefour de la réflexion et de la fiction. La première partie, intitulée « Réflexions et Regards », pose les fondations idéologiques du livre et s'attaque de front aux fractures éthiques et politiques de notre époque.
Christ Kibeloh y développe le concept de l'« Âme sans passeport », un humanisme radical qui transcende les frontières superficielles (race, nationalité) et invite à reconnaître l'autre au-delà de ses marqueurs. C'est un appel vibrant contre les identités fermées et les nationalismes aveugles. L'auteur érige l'Ubuntu – la philosophie de la connexion humaine – comme l'unique rempart éthique, réaffirmant : « Nous sommes tous frères par la nature, mais étrangers par nos origines ».
L'analyse bascule ensuite vers une critique géopolitique sans concession des réalités africaines. Kibeloh expose le paradoxe de la « Malédiction des Ressources » – décrivant comment l'opulence géologique (coltan, cobalt) se mue en fardeau par un jeu d'intérêts financiers mondiaux et la complicité d'élites locales corrompues. Loin d'une plainte victimaire, l'auteur exige la reconnaissance de la souveraineté africaine et plaide pour que le continent soit « payé » pour le service écologique vital qu'il rend, notamment via le rôle du Bassin du Congo, « poumon vert de la planète ».
Le propos est un appel à rompre le cycle de la dépendance, l'auteur exhortant la jeunesse à transformer son énergie en innovation, car « L'avenir de l'Afrique n'est pas dans l'exode, mais dans la maîtrise de sa matière première : l'esprit ».
La Résilience incarnée dans la fiction
La deuxième partie du livre, « Histoires de Vies », sert de laboratoire moral à l'essai en traduisant les idées en émotions. Composée de quatre nouvelles, elle explore comment la résilience n'est pas un don, mais un choix.
Nous y rencontrons Yasmine, victime de harcèlement scolaire qui transforme sa douleur en lutte pour la justice ; Marc, écrivain trahi qui retrouve sa voie par la création ; et Lorez, prince déchu qui renonce à la vengeance familiale pour devenir un symbole d'unité patriotique et un rempart contre la corruption. Ces récits illustrent les principes de dignité, de pardon et de foi en l'homme.
Ce passage à la fiction permet à Christ Kibeloh de canaliser sa double culture – ses racines africaines et son héritage francophone – pour aborder des thèmes profonds (l'exil, l'injustice, la résilience) et viser l'universel.
L'appel à la réconciliation
Le troisième volet, plus historique, explore les ambiguïtés du métissage et les cicatrices de l'esclavage. Kibeloh évoque une « blessure ouverte » que l'Afrique et l'Occident refusent souvent d'examiner ensemble. Il plaide pour une reconnaissance réciproque des crimes coloniaux, mais aussi de la responsabilité partagée de certaines élites africaines d'hier.
Il appelle à refonder la relation France-Afrique sur le respect et l'égalité, notamment autour des questions monétaires et culturelles, comme celle du Franc CFA. Pour l'auteur, « Le métissage n'est pas un effacement des origines, mais la preuve vivante que les murs de l'histoire peuvent devenir des ponts ».
En fin de compte, « Mon regard sur le monde » s'affirme comme un ouvrage de maturité d'une nouvelle génération d'auteurs africains soucieux d'allier écriture et engagement. Christ Kibeloh, qui confirme à 30 ans son statut d'écrivain conscient et engagé, rappelle que la littérature n'est pas un refuge, mais un instrument de transformation. Son message est simple et cinglant, condensé dans la formule qu'il utilise : « La question n'est plus : qui est coupable ? mais que faisons-nous de notre part de responsabilité ? ».
C'est un appel direct au lecteur à prendre sa part de responsabilité pour transformer le monde. Écrire, dit-il, c'est « apprendre à ne pas détourner le regard ». Avec ce livre, il nous invite à faire de même.
Christ Kibeloh, Mon regard sur le monde, Le Temps d'un roman (Collection « Essai »), 2025.
ÉCRIT PAR : LÉONARD SOREL
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